Conjuguant différents médiums dans son travail de l’image, Elizabeth Lennard fait vivre ses sujets une temporalité flottante. Depuis les années 1970 où elle vivait encore aux États-Unis, elle se consacre principalement à des œuvres mi-peintures et mi-photographies, en plus d’incursions régulières dans le champ du film et de la vidéo. Elle a tôt adopté la photographie noir et blanc comme composante charnière de sa production, car ses images, une fois tirées, deviennent elles-mêmes le support et la trame d’une nouvelle recherche. Par la peinture cette fois, l’artiste revient alors sur ces clichés pour les rehausser de teintes vives, par touches de couleurs presque naturelles, ou par remplissages arbitraires et fantasmés.
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Elizabeth Lennard a articulé son travail autour de différentes thématiques qu’elle a continué à nourrir au fil des années, en Californie où elle a passé une partie de sa vie, à Paris où elle vit ainsi qu’au cours de ses différents voyages. Photographe des villes et des architectures antiques et modernes, elle en saisit la profusion graphique, les volumes rigoureux et l’ambiguïté des langages. La vie intellectuelle des métropoles de France et des États-Unis a aussi prêté ses visages à l’objectif d’Elizabeth Lennard. Son corpus de portraits, vaste et hétéroclite, comprend notamment les deux séries présentées dans l’exposition. Les mots et les images s’articulent en forme de chiasme pour proposer une inversion des rôles et des genres.
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Pour ses Hommes-objets, Elizabeth Lennard a photographié dans les années 1970 des amis rencontrés à Los Angeles et à Paris. Les modèles rejouent les canons de la statuaire gréco-romaine en prenant des allures d’une sensualité badine. Hommes, ils se travestissent en sculptures ou en « hommes-objets » : des individus réduits à un pur corps et à une simple fonction de charme, un statut longtemps considéré comme essentiellement féminin. Sur ces poses empruntées, l’artiste applique à la main son grimage de crayon ou de peinture à l’huile. Chaque œuvre est donc unique et transgresse la reproductibilité supposée des photographies. Par le geste de peindre, Elizabeth Lennard empreint chacune de ses images d’une portée autobiographique ; par ses coloris, elle édulcore le passage du temps et la nostalgie du monochrome.
Plus récemment, elle a exploré de nouvelles techniques de photographie et de peinture numériques, des procédés qui lissent les effets de texture et donnent toute la place au choix du sujet et de l’humeur colorée. Ses recherches se sont poursuivies et se sont attachées aux statues de personnages célèbres qui ornent les parcs et jardins de Paris. Plus particulièrement, Elizabeth Lennard s’est intéressée à ces représentations de femmes qui ne sont ni allégories, ni déesses, ni figures mythologiques, mais – chose rare dans l’art occidental – reines, peintres, poétesses, romancières, ou comédiennes historiques. Elle s’est mise à photographier ces statues comme des portraits sur le vif. Elle y voit d’abord des femmes qui sont devenues objets pour les besoins du temps et des mémoires, et qui concentrent là encore la tension de l’inerte et du vivant dans un seul et même corps.
Un texte de Marilou Thiébault
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